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Bogotá





Bruja (sorcière)



                           Bruja-Sorcière (Série du Tarot du Thaumaturge, 2009) par Juan Munoz



Le père Tobias posa le regard sur les enfants qui marchaient à la queue leu leu vers un gros évier qui servait aussi d’abreuvoir. Puis il posa sa main de géant sur mon épaule et, en compagnie de mon oncle, me ramena en arrière de la maison principale, où mes cousins se nettoyaient à l’aide de seaux. Il n’y avait qu’Hortensia qui se cachait derrière un petit mur, étirant un cou pour voir ce qui se passait.
    Et le curé commença :
    — Mes enfants, Dieu fit le ciel et la terre. Cela, vous devez déjà le savoir. Avant de tirer de la boue ce qui fut le premier homme, il avait créé les animaux et les oiseaux.
    — Mais les oiseaux sont aussi des animaux ! interrompit Urbano.
    — Bien sûr que non ! Les oiseaux, d’après la Bible, c’est une autre catégorie de créatures. Les oiseaux sont les intermédiaires entre le Ciel et la Terre. Ils ont des ailes comme les anges, mais ils peuvent aussi tomber et devenir des lézards, comme les démons. Il y a les oiseaux visibles et les oiseaux invisibles. Les lézards visibles et les lézards invisibles. Dans ces contrées où l’Évangile arriva si tard, ces oiseaux et reptiles ont bâti un royaume…
    Les enfants venaient de s’habiller, mais écoutaient attentivement les paroles du Père Tobias qui, enrobé de l’or tropical de la matinée, poursuivait : 
    — Dieu et le Diable firent un pacte, comme dans le Livre de Job. Tu prendras la forme des animaux reptiles et oiseaux, dit Dieu au Diable, et ainsi tu feras tomber l’homme, l’effrayeras, me le ramèneras comme un mouton, qui fuit le chien et cherche refuge dans le giron de son pasteur. Et le Diable accepta et trompa Ève, la femme. Et Dieu trompa le Diable, en le faisant écraser par Marie, Sa Mère, la femme. Mais le Diable continua à tromper la femme. Aujourd’hui, il la cherche et se renseigne si elle a besoin d’un mari ou d’enfant. Il lui dit : va, transforme-toi en dindon et vole... vole... et vole le mari ou l’enfant de ta voisine. Tu te poseras sur les tuiles à minuit, tu descendras jusqu’au lit et tu t’assoiras sur la poitrine de la femme tandis que tu embrasseras celui que tu désires. Elle finira par se faner et il te trouvera plus appétissante. Mais tâche de ne pas te laisser surprendre par la lumière du jour et ne te mets pas à compter des grains de riz ou à recomposer des pantalons à l’envers parce que les gens te verront nue et monstrueuse, et je ne pourrai plus te protéger.
    — Vous parlez de doña Lucila, la sorcière qui s’est fait prendre le lendemain de Pâques et qui est morte d’un cancer une semaine plus tard, demanda Urbano, qui avait étudié avec soin cet épisode des annales de Villa Granate.
    — Oui, je parle d’elle, murmura le curé, déçu par les connaissances de cet enfant et en buvant une gorgée de sa gourde.
    — Pauvre femme, ajouta mon oncle. Elle était sans vêtements au milieu d’un cercle de feu où l’on avait piégée. Les gens disent qu’elle avait un gros bec en spatule et des ailes avant de se transformer. Je suis arrivé quand elle était par terre, dans sa forme humaine, sans défense, et les gens s’apprêtaient à la lapider. Je l’ai couverte avec ma veste et l’ai conduite chez elle. Elle est morte alors que je vendais des bougies à Valparaiso. Virgilia et d’autres femmes sont allées lui rendre visite pour lui donner à la cuillère un bouillon de poulet. Elle était déjà partie. 
    — Heureusement, elle est partie avec l’onction des malades que je lui ai administrée, cher Rogelio, reprit le saint homme. Et vous savez, les enfants, pourquoi je vous parle de tout ceci ?
Assis sur une brique, je savais déjà à quoi tout cela menait. Le prêtre travaillait pour le salut de nos âmes. Je ne dis rien, mais Urbano bâilla à ma place. Le prêtre fit semblant de ne rien voir et continua la catéchèse :
    — De même que l’oiseau-sorcier dans lequel une femme peut se transformer à cause du péché, le pollo malo nous montre que nous nous sommes détournés du bon chemin. Rien n’est invisible à l'œil de Dieu. Arrêtez vos espiègleries, ne suivez pas l’exemple de vos parents ; vous verrez que les nuits deviendront plus tranquilles et vous deviendrez des hommes plus sages ; toi aussi, Hortensia, quand tu seras une femme…
    La fille sortit de son coin. Propre et blanche, elle me fit penser à une colombe.
    Les yeux du prêtre ressemblèrent à ceux d’un gros bébé au cœur brisé. Hortensia était déjà devenue une femme.  

La bruja india

Il s'agit de l'esprit d'une jeune fille autochtone qui est chassée par sa communauté et qui décide de s’enlever la vie. Son spectre est lié au dernier endroit où elle a demeuré. Elle infligera sa douleur à d’autres, particulièrement des hommes seuls. Des grigris, des rites et des prières semblent la tenir éloignée.    

   


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